« Carnets de Voyage : Chapitre LA CHAISE »
« Il était presque aussi âgé qu’elle. Presque aussi marqué.
Les rides profondes sur le visage creusé par la vie. Il s’assaillait sur elle, des heures durant. Le regard scrutateur du moindre détail, devant l’horizon changeant aux reflets d’argent. Il rêvait déjà de partir rejoindre celle qu’il venait tout juste de quitter, celle qu’il avait l’impression de trahir à chaque fois.
Alors il restait là, assis … comme envoûté.
« Regarde là, regarde ! C’est elle ! C’est La femme bleue », comme il disait, « la Grande ». « Regarde là, te dis-je! Elle m’appelle ! Tu entends ? Elle m’attend ! Elle me demande de revenir »
Il mâchouillait nerveusement le tabac froid de son mégot accroché au coin des lèvres. Son chapeau de paille décharné ombrait à peine son regard ému.
Son soulier ancien et impatient, lacé autant qu’il pu l’être, le balançait d’avant en arrière. Le dos caressé par le bois de la chaise burinée…
Mais elle était si dangereuse cette Dame, et si fascinante à la fois. Elle arrachait de son cœur des émotions si fortes qu’il ne pouvait la quitter des yeux ! « Elle est capricieuse, tu sais ? Bien plus que toutes les autres ! Tantôt calme, tantôt en colère ! ».
Alors de soupirs en soupirs, il restait las, assis des heures durant, en attendant avec douleur le prochain départ, espérant secrètement qu’elle le reteint un jour pour rester toujours avec elle.
Le pied campé au sol, les yeux mouillés et le point serré il se balançait encore comme pour recréer artificiellement le mouvement lascif de son adorée.
Et puis un jour…
Une violente dispute !
Dans le ressasse impétueux de ses sentiments puissants, jalouse, La Dame bleue ne le laissa plus partir et d’une vague aux larmes de sel, la scélérate exauça son vœu!
Ce fut alors le grand jour pour le viel Homme! Celui d’un aller sans retour…
La Dame bleue l’avait gardée avec elle, en ses abysses, laissant derrière lui la seule qui l’avait toujours soutenu !
Elle pleure depuis le départ de celui qu’elle chérissait tant, la rivale de la Dame Bleue !
Elle trône là, contre le mur, et tourne le dos à l’horizon. Les barreaux de son cœur aux ombres endolories contrastent la lumière de son amour transi au travers de son osier usé par les affres du temps.
Elle était presque aussi âgée que lui, cette chaise… et depuis, dit-on, elle se meurt des souvenirs du temps jadis et de son impossible retour. »
© Julie MECHALI / Tous droits réservés (photo et texte)